Le sirop de bouleau: consolation des acériculteurs retardataires

 Plusieurs le savent déjà: le Québec fournit environ les trois quarts de la production mondiale de sirop d’érable. Cette année, l’entaillage a débuté très tôt, grâce à l’hiver court ayant déjà entamé sa fonte dès la mi-février. Rares sont les années où la saison des sucres se poursuit au delà du début du mois d’avril. Il existe néanmoins des courants alternatifs de sucres forestiers qui coulent au delà de cette date. Les acériculteurs ayant débuté tardivement leur entaillage, tels de mauvais élèves du monde sylvestre, peuvent, grâce au bouleau, prendre des cours de rattrapage et repartir avec un prix de consolation.
Patrick Hacikyan/

Lorsque les érables ont donné leur dernière goutte de sève nouvelle, on ne se doute parfois pas que d’autres essences abritent aussi des eaux montantes, un peu plus loin dans la forêt. Sous l’écorce de plusieurs arbres se déroule une marée secrète d’eau printanière qui réveillera les bourgeons de ces derniers. Bon nombre de feuillus ont une montée de sève printanière. Par contre, peu ont une composition riche en sucres et minéraux semblable à celle de l’érable à sucre, que les Premières Nations (fort probablement les Innus pour la première fois) ont enseigné au monde comment entailler, pour en tirer les délicieux bénéfices, que les Français, ayant la dent irrémédiablement sucrée, ont ensuite pris l’habitude de concentrer en sirop.

Les sucres, Édmond Joseph Massicotte, gravure, 1903

Un de ces feuillus, en revanche, possède une sève brute printanière dotée d’une composition assez goûteuse, légèrement sucrée, et possédant des propriétés qui étaient elles aussi, connues par la plupart des 11 Premières Nations du Québec ainsi que des Inuit dans certains vallons du sud du Nunavik. C’est le bouleau, qui est distribué sur toute la surface du Québec, à partir de la vallée du Saint Laurent, au sud, jusqu’à la hauteur de Schefferville, environ.

Il faut savoir que l’érable à sucre donne un sirop si délicieux qu’il est normal qu’il éclipse le bouleau en popularité. Pourtant, en Russie, en Lithuanie, en Ukraine, ainsi que dans d’autres pays slaves nordiques, l’eau de bouleau est appréciée depuis des siècles. Des manuscrits du 14è et 16è siècles attestent de ses propriétés bénéfiques sur le sang ainsi que sur les calculs qui peuvent s’accumuler dans divers organes et parties du corps. La boisson est encore aujourd’hui retrouvée en supermarché en bouteille ou en tétra-pak. À l’époque de l’URSS, lorsque les sodas et boissons gazeuses n’étaient pas disponibles, c’est cette boisson qui fût adoptée par les étudiants et la population générale, pour se désaltérer avec une boisson un peu sucrée. Il est possible de la retrouver dans certaines boutiques vendant des produits de l’Europe de l’Est, à Montréal ainsi qu’à Québec. La boisson se prononce sok, en Russe, mais est produite et consommée dans plusieurs pays, dont la Finlande, où elle se prononce mahla, et y est produite en quantité industrielle. L’eau d’érable est donc déjà traditionnelement une boisson appréciée dans les pays nordiques et semi-nordiques. En Suède, on s’en sert depuis des générations sous forme de sirop, et pour sucrer certains plats.

Un gros bouleau entaillé. Photo: © GEC

Il est où, le gros bouleau?

L’acériculteur en herbe ayant débuté son entaillage trop tôt, ou qui ne trouve pas d’érables, sera consolé de savoir que s’il trouve un bouleau d’au delà de 20 centimètres de diamètre, il pourra l’entailler. En fait, selon des conseils d’un vieux routier du domaine, plus un bouleau est gros, plus son eau sera sucrée. L’entaillage débute dès que les érables coulent leurs derniers flots de l’année, soit entre fin mars et mi-avril. Pour les secrets de l’entaillage, il est conseillé de solliciter les conseils d’un grand-père expérimenté en la matière. Si ce n’est pas possible, vous pouvez appeler les employés de l’excellente compagnie CSL, qui vous livreront des conseils judicieux. Sachez pourtant qu’il est primordial de choisir des bouleaux assez gros, car leur entaillage, contrairement à celle de l’érable, blesse l’arbre de manière plus large et plus profonde. Le bois qu’un bouleau entaillé produit aura presque assurément une marque noire dans une partie de son grain. Il est d’autant plus important de refermer l’entaille avec de la cire d’abeille ou autre, après la saison.

Le chalumeau captant les eaux. Photo: © GEC

Les bouleaux coulent de manière généreuse. Si vous utilisez des seaux, il vous sera probablement nécessaire de les vider chaque jour. Lors du transvidage, une pensée heureuse emplit généralement l’esprit de la personne réalisant cette besogne annuelle. L’eau de bouleau est rassemblée, gardez en une partie si vous voulez vous tonifier en buvant un peu de celle-ci. Le reste ira pour l’évaporation et sera transformée en gourmandise forestière. Gardez-en, par contre, car il vous faudra 110 litres, environ, pour faire un litre de sirop de bouleau, contrairement aux 40 litres nécessaires à la fabrication du litre de sirop d’érable.

Faire le guet devant la lente réduction

Lors de la cuisson, il est important de savoir qu’il ne s’agit pas de sirop d’érable. L’eau de bouleau, elle, contient un fructose très sensible à la chaleur. Par conséquent, le faire bouillir à 104 degrés centigrade donnera un sirop noir comme le charbon et trop liquide, avec un goût trop acidulé, voire amer, carbonisé. Les industriels utilisent l’osmose inversée pour concentrer l’eau de bouleau. Pour les artisanaux, il sera nécessaire de s’armer de patience. On donne un premier coup de haute chaleur pendant une minute, et on laisse ensuite évaporer en chauffant à entre 60 et 90 degrés centigrade. Ceci conservera les sucres et certaines autres composantes de la matière première, pour donner un sirop plus épais et riche. Il vous faudra le surveiller de près, surtout vers la fin, car il change de phase vers le solide de manière impromptue. Sachez que les premières coulées d’eau de bouleau sont les plus douces et sucrées. Le sirop de fin de saison, comme le sirop d’érable de fin de saison, est foncé. Cependant le résultat au niveau du goût est une influence très différente, plus herbacée.

Cette manière de faire évaporer avec lenteur, l’eau de bouleau, est un peu difficile à effectuer sur un feu à ciel ouvert. Un feu dans un poële à bois, par contre, sera plus facilement modérable, et un tisonnier epérimenté pourra patiemment moduler l’intensité de ses braises, pourvu d’avoir un bon vieux thermomêtre dans le chaudron, pour être certain de ce que l’on fait. Faire évaporer à basse température permettra de conserver une bonne partie du fructose du bouleau, ainsi que plusieurs vitamines et acides aminés, permettant aussi  au sirop de développer une bonne viscosité, ce qui n’est pas facile car il la perd vite s’il s’évapore de manière trop intense.

Verdict gastronomique

Une fois que le sirop est fin prêt, il faut le retirer du feu, et le filtrer, pour enlever certaines particules non désirables. Il est préférable de le laisser refroidir dans des contenants ou bouteilles hermétiques, loin de toute odeur ambiante, car le sirop peut absorber les arômes ambiants en refroidissant. Arrivé à température ambiante, il est maintenant temps d’y goûter. Voilà, goutez-y! Si vous avez en bouche un sirop réussi, celui-ci aura le goût d’un sucre roux de mélasse, avec des effluves forestières. Le sirop de bouleau à une palette de goût beaucoup plus racée que sa contrepartie d’érable. On y retrouve tous les goûts détectables par la langue. Vous avez l’impression aussi, de comprendre à la base ce qu’est l’essence gustative du bouleau. C’est boisé, mais caramélisé aussi, avec des notes de noix de grenoble et de très forts soupçons de mélasse.

Une fois que l’on y a goûté, on comprend le caractère sans détour du sirop de bouleau. C’est à utiliser avec parcimonie. Les potentiels culinaires de cet élixir mielleux sont assez solides dans la continuité de la cuisine québécoise. On peut imaginer plusieurs desserts qui peuvent s’en servir, mais aussi des ragoûts forestiers, poissons grillés, vinaigrettes et autres expérimentations de votre propre cru. En fait, une idée vient en tête lors de la dégustation du sirop de bouleau: son goût si particulier possède la capacité de faire des biscuits uniques. Son goût possède un je ne sais quoi qui semble parfait pour la confection d’un biscuit du terroir assez exceptionnel. La possibilité de faire des éclats de sucre de bouleau reste également à explorer par les pâtissiers et pâtissières.

La robe du sirop de bouleau est le plus souvent foncée. Photo: © GEC

Au delà de ses qualités organoleptiques, l’eau de bouleau et son sirop possèdent des propriétés médicinales. L’eau de bouleau est composée de la sève montante, irriguée par les racines. Par contre il existe également la sève élaborée, qui est le produit de l’activité de photosynthèse dans les bourgeons et feuilles du bouleau, qui elle, descend dans l’arbre. Certains en font un jus ayant des propriétés médicinales reconnues grâce, entre autres, aux l’activités de acide bétulinique et le salicylate de méthyle. L’eau de bouleau, elle, contient quelques vitamines, dont certaines du complexe B et parfois un peu de vitamine C. Elle possède plusieurs acides aminés ainsi que des enzymes, une bonne liste de minéraux, ainsi que des oligo-éléments. Un certain biologiste québécois du Bas-Saint-Laurent a insisté sur la présence de ces fameux oligo-éléments dans l’eau de bouleau, ainsi que le potentiel médicinal qui pourrait y être puisé.

Une popularité grandissante

Aujourd’hui, l’eau de bouleau et le sirop de bouleau ont le vent en poupe. Bien que ce sirop soit de quatre à cinq fois plus cher que son homologue issu des érablières, il connait un gain de popularité sans pareil depuis la dernière année. On retrouve beaucoup de marques d’eau d’érable dans les boutiques d’aliments naturels. C’est en fait un produit assez nouveau dans la plupart des centres urbains. Il est par contre populaire depuis des siècles en Europe du Nord, en Russie, et même dans certaines régions du nord de la Chine. Voilà pourquoi on peut aussi le retrouver dans la plupart des épiceries baltiques, polonaises ou russes, des les grandes villes. Ses propriétés sont encore à l’étude, mais il existe déjà de nombreux bienfaits connus à cette eau forestière printanière issue de l’arbre boréal le plus emblématique.

Le merisier, ou bouleau jaune, petit frère des bouleaux à papier et autres bouleaux blancs et  arbre emblématique du Québec, donne lui aussi un sirop délicieux, qui est produit dans plusieurs régions du Québec, notamment en Gaspésie, à Escuminac. L’eau de bouleau blanc est extraite dans un projet de grande envergure dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean mettant en coopération le Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean et l’organisme Forêt Modèle du Lac-Saint-Jean. Il est grand temps de redécouvrir la valeur de l’eau de bouleau et ses produits, trésor du monde boréal.

Bouteille de sirop de bouleau produit par la maison Gourmet Sauvage, dans la région des Laurentides. Photo: © GEC

Bouteille de sirop de bouleau produit par la maison Gourmet Sauvage, dans la région des Laurentides. Photo: © GEC

Pour celles et ceux n’ayant pas la chance de produire du sirop de bouleau, il est pourtant possible de s’en procurer dans les villes du Québec, et peut-être dans une bonne partie des plus grandes villes du monde. Si vous êtes au Québec, allez au Marché Jean-Talon ou au Marché Atwater, à Montréal, ou encore au Grand Marché de Québec, à Québec, où vous en retrouverez plusieurs variétés. C’est souvent dans les petits flacons que l’on retrouve les meilleurs sirops.

 

 

 

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