Le retour aux sources vivaces qu’est le camping sauvage

Le camping comme une technique de bien-être

Nous vivons dans une époque de formidable révolution technologique, projetant l’humanité dans de nouveaux horizons, de manière constante. Dans ce contexte où de nouvelles opportunités techniques se présentent, il est de plus en plus possible de traduire des contraintes physiques en possibilités permises par le monde virtuel. Dans cet élan, les citoyens du monde entier peuvent de plus en plus profiter de capacités nouvelles, telles que celles du commerce digital, ou encore, par exemple, celle du travail à distance.

 Dans ce nouveau paradigme, plusieurs aspects désuets de la société rejoignent le passé, tandis qu’une fine fleur récoltée apparaît dans une nouvelle perspective, telle la magnificence d’une porcelaine d’époque de la dynastie Ming, rejoignant les rangs du patrimoine mondial intemporel.

Patrick Hacikyan/

C’est dans cette mouvance que pour plusieurs cultures à travers le globe, certains articles culturels, transmis de génération en génération, sont mis de l’avant. Ceci est fait, non pas dans un élan de regard vers l’arrière mais plutôt dans une mise en perspective permettant de mieux apprécier le présent dans toutes ses ramifications, et anticiper l’avenir.

Tchoum du peuple Évenk, en écorce et bois

Certains de ces exercices se font dans le but d’être conscient de l’environnement dans lequel une population donnée à traversé le temps. Nous pouvons voir de multiples exemples de la sorte. Que ce soit dans l’incorporation d’un enregistrement du son d’un teueikan dans une pièce de musique électronique composée en 2055 par une ou un descendant de Katia Rock ou de Florent Vollant, ou encore dans l’édification d’une splendide tente amazighe lors d’un mariage berbère à Tanger, aujourd’hui.

Tambour à main anishnabe (algonquin).

Voilà donc l’élan dans lequel s’inscrit la popularité du camping, au Québec. Il s’agit, en fait, d’une activité de loisir bénéficiant d’un engouement travers la planète, surtout de manière récente, au fur et à mesure que les sociétés d’urbanisent. Toutefois, au Québec, ailleurs au Canada et en Amérique du Nord, cette activité revêt d’une importance particulière. En effet, le camping, tel qu’il est pratiqué ici, tient sa source dans la grande influence, souvent méconnue, que les premières nations ont eu et ont encore, sur les populations venues s’établir en ces terres, depuis la fin du 16è  siècle.

Je me souviens du scorbut et son remède

Si peu de récits sur le sujet ont été transmis jusqu’à nos jours, il en existe un qui fait partie de la culture populaire, et est enseignée à l’école primaire et secondaire. Il s’agit de la fameuse anecdote traitant du scorbut, lors de la seconde expédition de Jacques Cartier, en 1535-1536. Lors de la traversée atlantique et de l’établissement précaire de l’équipage à l’arrivée, vingt cinq hommes sur cent dix sont décédés du scorbut. C’est grâce au conseil de Domagaya, fils du chef d’une tribu ou nation Iroquoïenne du Saint-Laurent, que les Français apprirent à concocter le remède contre cette affliction causée par une carence en vitamine C. Il s’agirait soit d’une potion à base d’écorce de cèdre (thuya occidental) ou d’une d’une boisson préparée avec des aiguilles de pin.

Pierre Le Royer, coureur des bois, photographié en 1889

Lors de la traite de fourrures, de nombreux coureurs des bois apprécièrent le mode de vie des premières nations rencontrées. Ces dernières ont eu une influence déterminante sur le mode de vie des nouveaux arrivants. En Nouvelle-France, ces us et coutumes ont infusé dans les bourgades des Français et des Canadiens, nés sur le continent, si bien que plusieurs coureurs des bois ont préféré le mode de vie des Innus, des Cris, des Naskapis et des autres premières nations qu’ils ont rencontré, et décidèrent de l’adopter, restant auprès de ces communautés qui les ont accueillis.

Ainsi, au Québec, le camping est une tradition qui fait de sorte que, de manière consciente ou inconsciente, des individus ou groupes d’amis, des familles et des clubs, s’immergent dans un environnement naturel qui les rapproche des conditions existant à cette époque. Voilà pourquoi des populations parfois très urbaines vont, de manière volontaire, se mettre en situation un peu plus vulnérable, pour ressentir et reconnaître la terre des aïeux, qu’ils soient réels ou symboliques.

Du camping conventionnel à l’expérience archétypale

Évidemment, il existe plusieurs niveaux de camping. Le plus accessible est celui étant disponible dans les parcs nationaux, réserves fauniques ainsi que dans les campings commerciaux. Là, sans trop abandonner les conforts de la vie moderne, plusieurs s’avancent dans l’expérience d’un camping bénéficiant tout de même de l’eau courante, d’installations sanitaires et parfois d’un toît fixe et d’électricité. Cependant, d’autres préfèrent aller là où il n’y a pour ainsi dire peu ou pas de voisin. Recherchant une expérience plus authentique, ils décident de s’aventurer vers le camping sauvage, espérant communier avec ces conditions où il faut négocier avec les forces de la nature, de manière plus directe.

Tentes en camping sauvage dans la forêt boréale, au Québec.

La gamme des possibles, dans le monde du camping, varie du glamping, où les campeurs prennent place dans une yourte, une roulotte ou encore dans une bulle transparente chauffée placée dans les arbres ou quelque part en forêt, jusqu’à l’expédition sauvage extrême de personnages comme André-François Bourbeau, qui, après avoir lancé une fléchette sur une carte géographique, s’est fait déposer par hélicoptère au lieu exact où était atterrie la fléchette, dans la Baie de James, pour y habiter de manière prolongée en y amenant, pour seul outil, un couteau.

Quelle que soit la catégorie de camping choisie, le but du camping est toujours le même: se rapprocher un instant des conditions de vie d’antan, ressentir une certaine proximité avec la nature et le paysage. Des buts comparables peuvent être perçus lors d’expériences différentes. Ainsi, la nature même d’un pique-nique suit la même mouvance de conversation avec l’environnement naturel. Telle est aussi la quête de la chasse, dans le monde actuel. Un phénomène moult fois exploré de manière philosophique dans des ouvrages littéraires, dont le livre phare en la matière: Méditations sur la chasse, de José Ortega Y Gasset, écrit en 1942.

Campeurs, en Ontario, Canada, photographiés en 1907.

En effet, bien que le concept occidental de camping est né en Angleterre, vers la fin du 19è siècle, lors de la popularisation d’excursions en bateau sur la Tamise, où, certains jetaient l’ancre, de part et d’autre du fleuve, pour y séjourner une nuit, puis ensuite dans les clubs d’excursion, ailleurs en Europe; en Amérique du Nord, cette activité trouve à sa source, la chasse.

Un camp de chasse hivernal, au Québec, tel que peint par Cornelius Krieghoff, en 1858.

Un repos au cœur du terroir

Plusieurs ont entendu de la chanson célèbre intitulée « Ma cabane au Canada », sortie en 1949. De quel genre de cabane s’agit-il? D’un camp de chasse, il va sans dire. Que ce soit dans une cabane ou dans une tente, trouver du gibier ou du poisson a souvent été la raison d’être de ce pèlerinage en forêt. Bien que rares sont ceux et celles qui subsistent encore par la chasse, cette activité tient lieu de lien unissant les personnes qui la pratiquent, au terroir, à l’écosystème où se déroule cette quête périodique. Loin des stéréotypes reproduits dans certains sketch humoristiques ainsi qu’à travers les honteuses bavures de grotesques chasseurs gloutons, à sa source, la chasse est une activité quasi-spirituelle d’union au cycle de la vie et de la mort.

Famille Innue du Saguenay-Lac-Saint-Jean, photographiée en 1898.

Encore aujourd’hui, à Mistissini, la chasse traditionnelle est une période de réjouissance chez les Cris. Les territoires de chasse traditionnels sont parcourus, gérés selon le savoir ancien, alternant les parcelles en jachère avec celles où l’on va chercher le gibier. Encore aujourd’hui, à Shefferville, Matimékosh, au Lac John, à Kawawachikamach et bien au delà, les fameuses vacances de la chasse aux outardes est une vraie fête! Les familles Innues et non-Innues ainsi que les Naskapis ont un congé pour aller dans les terres chasser la fameuse outarde qui revient enfin dans le nord, après un immense parcours migratoire. C’est à cette occasion que plusieurs jeunes vont réussir à avoir leur première outarde, source d’immense fierté. Nichés dans des abris de chasse, loin des soucis de la vie au village, le temps se transforme au son d’un autre rythme. C’est celui des rires, de la chanson, de la bonne nourriture, des histoires et du matin frisquet. C’est là que plusieurs ressentent enfin que le besoin de fuir s’estompe, au profit de la joie de se retrouver dans la splendeur d’une terre aux mille mystères, aux mille et unes couleurs fluctuantes et subtils sons et sensations ayant bercé et chahuté les générations précédentes.

Pour les invétérés en la matière, le camping d’hiver est souvent pratiqué.

En effet, si la source essentielle de la raison d’être du camping nous échappe parfois, la voilà dévoilée. C’est bien elle qui se cache derrière ce qui meut les peuples à se retrouver ensemble à griller quelque chose apportant de la joie autour, que ce soit un mouton en méchoui, ou de dodues aubergines. Elle est aussi là, présente, parmi les familles et amis qui tournent les kebabs, leurs chachlyk ou les kaftas afin qu’ils cuisent de manière parfaite au dessus des braises orangées en faisant un bbq au lac des Castors sous le ciel du Mont Royal, dans les collines d’Alep, ou au milieu de la brise des steppes de Hulunbuir.

Au rythme de la saison

Chaque année, le début de l’automne correspond, en Amérique du Nord à une des saisons de la chasse. À travers le monde, ce temps correspond aussi à la période des récoltes. C’est là l’occasion de multiples fêtes soulignant ce fait. Ce principe est édifié de manière très sophistiquée, dans la fameuse fête juive de Souccot. Lors de cette fête religieuse, un abri temporaire est construit sur la propriété des familles. Cet abri, nommé soukka, doit être utilisé pour les repas pendant sept jours, et souvent, on y dort. Il doit être construit de branches ou de feuilles, son toît doit offrir de l’ombre, mais permettre d’entrevoir les étoiles pendant la nuit.

Une soukka, érigée aux États-Unis, à l’occasion de Soukkot.

La soukka est construite à l’image de l’abri que les fermiers utilisaient lors de la fête des récoltes. De plus, la fête de Souccot sert à remémorer les quarante années d’errance dans le désert que les Hébreux ont vécu lors de leur sortie de l’esclavage en Égypte, période de grande vulnérabilité dont un grand devoir de souvenir est entretenu de génération en génération, permettant de ce fait de mieux s’orienter dans le présent et se projeter dans l’avenir.

Le rappel des conditions passées est un exercice périodique qui se fait, à différentes échelles et niveaux, dans les quatre coins de la planète. Vouloir se retrouver, pour une certaine période, si courte soit-elle, dans les conditions rustiques, naturelles et pittoresques par lesquelles les populations du monde entier, aussi sophistiquées qu’elles soient aujourd’hui, peut être une activité de réflexion, d’introspection et d’adaptation avec son environnement, fort favorable.

Ceci dit, il va de soi que plusieurs personnes ne sont pas portées vers le camping ou la communion étroite avec les moustiques, la pluie et les chaussettes mouillées. Néanmoins, même si elle est admirée depuis la lointaine terrasse d’un hôtel de villégiature cinq étoiles ou d’un restaurant, la nature de la Splendeur demeure, et le même cycle peut être observé chez presque tous les êtres humains, de manière non-empirique. Tout comme il est agréable de retrouver le coussin après une session au gym, le camping peut être utilisé pour se mettre au diapason d’un certain bercail originel, après quoi l’enthousiasme revient, une fois de retour au travail, au milieu de la ville et des écrans. La perspective est élargie, et une certaine inspiration nous permet de donner le meilleur de nous, une fois de plus.

Le côté culinaire du camping

Parmi toutes les activités possibles dans le cadre du camping authentique, il demeure toutefois que l’une des, sinon là plus centrale de celles-ci est l’acte de se restaurer. En effet, il y a évidemment un caractère réconfortant à cette activité lorsqu’on se retrouve en pleine nature. C’est d’ailleurs le principe du proche cousin du camping: le pique-nique. Au Québec, comme nous l’avons vu, le camping est associé depuis des lustres, à la chasse. Il est également, à travers le monde, associé à une période de repos, de récréation et de bombance. Voilà pourquoi une des particularités du camping au Québec est l’emphase sur la gastronomie.

Il va de soi que celles et ceux qui ont de loin le plus maîtrisé cet art culinaire en forêt sont les premières nations; pour les Inuit, ça sera plutôt dans la toundra du Nunavik, environnement entièrement différent. La Splendeur de la présence d’un castor fraîchement trappé qui rôtit tranquillement au dessus des grosses braises fumantes tel un pendule ayant trouvé la source, est une merveille légendaire que la majorité de la population du Québec ne peut qu’imaginer de manière romantique. Néanmoins, certains entretiennent encore d’autres traditions reliées à la chasse mais un peu plus accessible pour ceux ayant le permis de chasse et le savoir-faire. On peut penser à l’article l’Odyssée d’un ragoût de perdrix, de Mathieu Allaire, en Abitibi-Témiscamingue, qui raconte très bien la Splendeur matinale du pot de fonte déterré d’en dessous des braises du feu: on y a mis des fêves avec la viande de la perdrix chassée la veille et le tout a mijoté la nuit, cuisant lentement sous la terre. Le résultat est un petit-déjeuner forestier du terroir des champion(ne)s assez difficile à décrire.

Dans un registre plus accessible, n’ayant pas nécessairement accès aux produits de la chasse locale, plusieurs iront cueillir des champignons, pour les rissoler sur le feu le soir venu. D’autres encore, sachant reconnaître le thé du labrador ou le thé des bois, se feront une petite tisane, leur donnant ici aussi, un filet d’accès à la splendeur du terroir d’où on se situe. Si ce n’est pas possible de reconnaître avec certitude des denrées forestières, ce n’est pas grave pour autant. Le feu est aussi une source de lien avec le terroir et son expression qui peut être perçue par les humains de manière aisée à travers la gastronomie. Plusieurs amènent donc des oignons, carottes, rutabagas, pommes de terre et autres légumes choisis, un morceau de fromage, et après les avoir coupés et liées en papillotte dans un papier d’aluminium ou un contenant en terre cuite, mettent le tout en dessous des braises pour cuire une heure ou deux. Le résultat de cette frugale recette est lui aussi empreint d’un certain je ne sais quoi, chuchoté à travers les subtiles effluves de fumée de bouleau et de cèdre ayant embrassé les ingrédients le temps de leur cuisson. Même une simple cuisse de canard confite ou une saucisse grillée sur notre feu de camp, aura la subtile signature de cette notion mi-objective, mi- subjective.

Ce phénomène a été exploré de manière plus soutenue par l’ancien chef du Château Frontenac: Stéphane Modat. Il a été au Nunavik dans plusieurs communautés nunavimiut, étudier les traditions gastronomiques du lieu. Une magnificence insoupçonnée a été révélée à un plus large public par l’expérience. Tout un monde organoleptique infini s’ouvrent aux personnes qui osent s’aventurer dans ces sentiers gourmets des terroirs du territoire. Définitivement, un bassin culturel inépuisable réside au coeur de cette activité que nous nommons le camping. Loin de ce que nous appelons la civilisation urbaine, elle nous offre un repos d’où nous émergeons plus fort pour revenir mettre la maîn à la tâche collective avec plus d’entrain, lors de notre retour.

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