Qui n’a pas déjà vu voler, à la campagne, les soies emportant les graines d’asclépiade, une à une, avec la brise.
Cette plante, considérée par certains comme
une mauvaise herbe, a pourtant servi à bien des usages depuis la venue
des humains sur le continent. Des premières nations jusqu’à aujourd’hui,
le soyer du Québec a fait preuve de dons polyvalents pouvant être
utilisés pour de nombreuses tâches et entrant dans la composition de
nombreux objets. Il possède plus d’un tour dans son sac.
PATRICK HACIKYAN/
Bien qu’on l’aperçoive souvent dans des zones peu riches en végétation, elle est en fait une plante très sophistiquée. Sa fleur possède l’une des constitutions les plus complexes du monde floral à travers la planète. On peut la mettre sur un pied d’égalité, en termes de complexité, avec les fleurs de la famille de l’orchidée.
Cet automne, vient de se terminer la toute
première récolte en bonne et due forme des cosses d’asclépiade, qui ont
été cultivées sur une superficie de 20 hectares, en Estrie, en Mauricie,
ainsi que dans l’outaouais. La maigre récolte est 16 fois plus vaste
dès 2016, selon les projections. Après quatre ans de croissance, chaque
plant produit enfin sur une base annuelle. En 2017, la quantité
cultivée continuera sa croissance.
Le premier avantage de cette plante est le
fait qu’elle se prête très bien à la culture au Québec, même sur des
terres peu riches et peu fertiles, celle-ci étant naturellement disposée
à y pousser à l’état sauvage. Mais pourquoi donc cet engouement
soudain ?
En observant la façon dont les Amérindiens
s’en servaient, non seulement à des fins alimentaires (les jeunes
gousses et les boutons d’asclépiade sont savoureux et on utilisait leur
nectar sous forme de tranquillisant), médicinales et aussi
vestimentaires, les Français adoptèrent également les propriétés
isolantes de son fil ultra fin.
Il faut noter que sous Louis XIV, on
produisait déjà cette fibre en Nouvelle-France pour le bonnetier du roi,
de la Rouvière. Comme bien d’autres productions locales, cette
entreprise sera stoppée par les Anglais, vu qu’après leur prise de la
Nouvelle-France, ils mirent la priorité sur les autres nombreuses
productions textiles qu’ils avaient ailleurs dans l’empire britannique.
On s’intéressera à cette plante une fois de
plus à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale. Les Forces rivales
(Américains et Allemands) utilisèrent le latex de l’asclépiade pour en
extraire le 2 % de caoutchouc qu’il contient. On s’en est aussi servi
pour rembourrer les combinaisons flottantes des Forces alliées.
L’agriculture et l’urbanisation en sont
arrivés au stade où cette plante traverse de nos jours une période très
difficile. Cette situation affecte même la population des papillons
monarques dont plus de 20% des individus utilisent l’asclépiade comme
hôte pour y nicher leurs cocons.
Cependant, la situation change et la plante
sera de plus en plus cultivée sur de plus grandes superficies, car on a
trouvé deux débouchés importants pour cette fibre.
Premièrement, les soies d’asclépiade sont
creuses et absorbent l’huile à merveille. C’est un produit bien plus
efficace pour le nettoyage des déversements pétroliers que tout autre
produit existant.
Deuxièmement, la plante est un excellent
isolant sonore. Plusieurs studios de son et d’espaces musicaux sont
constamment à la recherche de barrières anti-son. Le plus fréquemment,
il s’agit de rideaux épais et lourds conçus pour freiner la transmission
sonore. La fibre creuse du Soyer du Québec possède des propriétés
encore plus inhibitrices du son que la plupart des produits offerts sur
le marché. Son avantage vient du fait qu’elle possède cette propriété
tout en restant extra-légère.
Enfin, la plus prometteuse et innovatrice
propriété de cette fibre reste sa capacité d’isolation thermique. L’air
contenu dans le centre du fil des soies est le meilleur isolant qui
soit. De récents tests industriels ont démontré que le Soyer du Québec
est 33% plus isolant que la plume d’oie, deux fois plus isolant que le
polyester, et cinq fois plus que le polar qui lui, pourtant, est
considéré comme très chaud.
Cependant, contrairement au duvet d’oie, la
fibre d’asclépiade repousse l’eau. Cette qualité est activement
recherchée par les adeptes d’activités de plein-air.
Ceci ouvre la voie à la possibilité d’être à
l’avant-garde du marché international de l’anorak, de même que des
divers produits de plein-air. Les entreprises Kanuk et Canada Goose ont
déjà des réputations enviables à l’échelle du globe; d’autres
emboîteront aussi le pas. Les premiers tests ont été faits en
haute-montagne, pour un sac de couchage isolé avec des fibres de soyer,
développé par la compagnie du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Chlorophylle et
aussi par l’entreprise Protec-Style, de Granby. L’expédition a été
menée par l’escaladeur Jean-François Tardif, au sommet du Mont
Washington, du Mont Lafayette, ainsi que d’autres endroits réputés pour
le caractère extrême et imprévisible de leurs hivers.
Une ascension du Mont Éverest a aussi été
effectuée, avec ces mêmes produits. Une combinaison, un anorak, et une
couverture ont donc été testés dans des froids modérés du camp deux et
trois du Mont Everest.
Voici donc les débuts d’une nouvelle filière
industrielle pour une plante autrefois négligée. Aujourd’hui, pour
François Simard, l’ingénieur en textile de Granby, qui chapeaute cette
initiative, le défi est de taille : faire d’une mauvaise herbe, une
fibre noble. La coopérative Monark qu’il a mise sur pied a beaucoup de
pain sur la planche. Cependant, les conditions favorables sont
présentes. L’asclépiade ne nécessite aucun engrais chimique ni
pesticide. Sa culture est entièrement biologique. Le produit final ne
nécessite que l’application d’un enduit pour rendre les soies plus
manipulables au filage et au cardage.
De plus, les agriculteurs qui font partie de
ce projet se réjouissent du fait que l’on peut garder les meilleures
terres agricoles pour des productions alimentaires. Le Soyer du Québec
pousse dans les terres les plus marginales, pauvres et rocailleuses, un
très bon revenu d’appoint pour un métier qui subit, ces temps-ci,
beaucoup de pression.
Bien des gens ont pensé lancer ce produit, mais il n’a jamais été exploité, faute de production. Agriculture Canada avait fait quelques tests en la matière dans les années 80, sans donner de suite à ces projets. Semble-t-il que nous pouvons maintenant être prêts à acheter non pas seulement anoraks, mais aussi gants et bottes, et autres produits dérivés de cette matière naturelle mais combien innovante. Beaucoup de compagnies commencent à développer leurs gammes de produits dans plusieurs pays d’Europe ainsi qu’aux États-Unis, à partir de cette fibre cultivée et transformée au Québec.
Quartz, une entreprise des Bois-Francs, fabrique maintenant des manteaux rembourrés avec l’hyper isolante matière produite à partir de cette asclépiade. Située à Sainte-Hyacinthe, Quartz a testé ces produits, et a réalisé que cette plante est très légère et une très petite quantité d’elle permet d’isoler à un point que seulement d’autres matières et épaisses couches sont capables d’égaler. Ainsi des manteaux comme le Laurentia ont des coupes plus ajustées. Ces manteaux sont en train de tracer l’avenir du plein air, c’est certain. Vous pouvez vous procurer ces manteaux en ligne à la boutique Quartz.
Voilà donc une édifiante histoire d’ingéniosité qui prend sa source dans la nature. Un parfait exemple de ce qui est possible lorsqu’on réalise le trésor potentiel de ce qui nous entoure déjà de manière presque quotidienne, mais qui parfois gagne à être plus apprécié. Souhaitons donc à François Simard et à la Coop Monark de se tailler une fière place dans l’industrie avec un produit qui n’était, au départ, qu’une semence flottant dans le vent.
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