PLACE AU MARCHÉ: Marché Montorgueil Paris, France (AVEC VIDEO)

Le quartier des Halles, aujourd’hui coiffé de La Canopée, structure de verre et de métal abritant le Forum des Halles et la gare Châtelet-Les Halles, en est un doté d’une certaine effervescence culturelle et sociologique. Ce lieu a depuis longtemps assuré une fonction centrale dans le fonctionnement de la ville de Paris. Après avoir été le carrefour alimentaire de la capitale pendant des siècles, la vocation initiale du lieu a pour ainsi dire disparu. Toute? Non! Une sympathique petite rue transporte la tradition gastronomique des Halles encore aujourd’hui, et nous achemine aux sources véritables de ce quartier.

Patrick Hacikyan/

C’est en 1137 que Louis VI le Gros décida de réunir les deux marchés de Paris en cet endroit, pour adapter les infrastructures d’une ville s’étant grandement accrue. Le marché est alors situé à l’extérieur des murs de la ville, sur la route reliant Paris à Saint-Denis. On y trouve alors quelques marécages ainsi que le cimetière des Innocents. Le marché s’installera donc, et toute l’activité humaine l’accompagnant aussi. On verra le lieu progressivement s’urbaniser et il sera intégré à Paris lors de l’édification des murs de l’enceinte de Philippe-Auguste, quelques décennies plus tard.

Durant les siècles suivants, le marché s’agrandit et l’activité y abonde. En 1780, les autorités décident de fermer le cimetière des Innocents, car les charniers et ossuaires sont source de problèmes d’hygiène et salubrité. Les os sont tous transférés dans les catacombes de Paris, et le marché peut enfin occuper le grand espace du cimetière. On l’appellera alors le « marché des Innocents ». Ce marché a plusieurs halles construites pour les tisserands, notamment, par Philippe-Auguste. François 1er fera construire, pendant trois décennies, des halles pour les marchands. Il s’agit de maisons dont le rez-de-chaussée donne sur une allée recouverte d’un toît soutenu par des piliers. C’est un aménagement pour les marchands qui durera plusieurs siècles.

Ici l’on peut apercevoir les piliers des anciennes halles, construites en pierre à l’époque médiévale .

C’est au 19è siècle, sous Napoléon, que l’on a décidé d’édifier des halles au marché des Prouvaires, comportant alors « la halle à la viande », une triperie et un parc à voitures, à l’ombre de l’église Saint-Eustache. Ce sera un premier jet d’organisation et d’hygiène offert aux Halles de Paris. Les animaux commencent dès lors à être abbatus à l’extérieur du marché, dans une zone adjacente.

Les halles construites sous Napoléon, au marché des Prouvaires.

Plus tard, sous Napoléon III, une vaste étude du sujet est entamée. Un concours est lancé pour construire un ensemble de halles pour ce marché central grossiste de la capitale. C’est le projet de Victor Baltard qui est retenu en 1848. Une première halle centrale est construite, sur l’ancien lieu du marché des Prouvaires. Il s’agit d’un bâtiment robuste, en pierre, que plusieurs appelleront « le fort ». Il sera jugé peu bien adapté aux besoins d’un marché public. Le projet de Balthard devra être revu et amélioré, avant qu’il ne soit officialisé. Napoléon III aurait déclaré à Haussmann à l’époque « Ce sont des grands parapluies, qu’il me faut, rien de plus », indiquant ainsi qu’il voulait s’orienter vers une structure de métal et de vitre semblable à celle que l’on peut observer aujourd’hui au Grand-Palais de Paris, construit, lui, un peu plus tard, en 1900.

Le premier pavillon Balthard, construit en pierre, jugé trop imposant, sera remplacé, lui aussi, par les halles redessinées de Balthard. Il fût démoli en 1865.

Les halles Baltard ouvrent une après l’autre, dès 1857. Il y en aura une douzaine au total. L’âge d’or des Halles a débuté. Ce quartier vibrera au son du marché, de ses halles, mais aussi de tous les petits vendeurs de denrées qui s’agglutinent autour de cette place publique. Pendant plus d’un siècle, l’activité des halles grouillera et aura restauré le grand Paris.

Les fameuses Halles Baltard.

C’est en 1969 que les pavillons Baltard seront détruits. Le gouvernement a décidé de transférer le marché central à Rungis. Pendant presque toutes les années 70, le «trou des halles» sera une plaie béante dans ce quartier autrefois si intimement lié à sa première vocation. On y construira le Forum des Halles, centre d’achats de luxe et le Quartier de l’Horloge, qui contribueront un temps à panser cette blessure, mais ces constructions bétonnées ne réussiront pas à cautériser la coupure.

La Canopée

Enfin, après plusieurs années de construction, en 2016 est inauguré La Canopée, au dessus du lieu central qu’occupaient autrefois les halles Baltard. La construction de Patrick Berger et Jacques Anziutti offre un clin d’oeil aux halles Baltard avec leur utilisation généreuse de métal et de verre laissant un jeu de lumière naturel faire son effet unifiant sur le secteur. Le quartier est aujourd’hui très vibrant, culturellement. Il comporte une part importante de la production de la culture urbaine parisienne actuelle, cependant, la vocation alimentaire du quartier à pour ainsi-dire disparue. Sauf pour la rue Montorgueil.

Cette rue a conservé, jusqu’aujourd’hui, sa fonction culinaire. Elle était déjà, en 1645, le lieu d’entrée des produits de pêche des ports de Normandie et de Bretagne. Aujourd’hui, les produits de la mer y sont encore vendus, avec un accent particulier sur les huitres. Un restaurant ouvert depuis près de 220 ans fait d’ailleurs perdurer actuellement cette tradition: Le Rocher de Cancale. Ce restaurant a toujours été réputé pour ses huitres, et fait partie du paysage depuis 1804.

Se promener sur la rue Montorgueil nous plonge dans le Ventre de Paris d’Émile Zola. S’il y a aujourd’hui quelques touristes en plus, il demeure toutefois une authentique fonctionnalité de cette voie dédiée aux commerces de bouche. À gauche, une boutique de produits normands, à droite une poissonnerie. En avant une boutique dédiée aux fruits et une autre aux importations plus exotiques.

Un peu plus loin se dresse une enseigne singulière, dorée sur fond noir, avec des objets particuliers ornant cette dernière. Nous parlons ici de l’enseigne de L’Escargot Montorgueil. Elle est ornée d’escargots dorés puis couronnée d’un grand escargot doré. Ce lieu, spécialisé en escargots, offre pourtant une carte beaucoup plus variée. Il s’agit d’un restaurant bourguignon réputé. En fait, ce dernier était très prisé par plusieurs grands noms tels que Pablo Picasso, Charlie Chaplin, Sarah Bernhardt et Marcel Proust. L’Escargot Montorgueil a pignon sur rue depuis 1832.

L’Escargot Montorgueil, restaurant bourguignon. Photo: – Patrick Hacikyan ©GEC

La rue Montorgueil est majoritairement piétonne. Elle n’est pas particulièrement longue mais on sent qu’elle soutient une fonction importante pour l’âme des Halles. Les quelques commerces alimentaires qui y sont situés sont des véritables témoins historiques, aussi modestes qu’ils puissent paraître.

Halte! N’allez pas plus loin, il faut absolument s’arrêter chez Stohrer. Stohrer, c’est la plus ancienne pâtisserie de Paris encore en activité. La maison a été fondée en 1730 par nul autre que Nicolas Storher, le pâtissier du roi Louis XV. En effet, Marie Leszczynska, reine de France, a amené avec elle son pâtissier. Sa maison est à l’origine de l’invention du baba au rhum, concocté pour la première fois pour le roi de Pologne, Stanislas, en improvisant à partir du classique babka. C’est Nicolas Stohrer qui perfectionnera ce dessert dans sa pâtisserie et permettra sa popularisation à travers le monde. Pâtissier du roi, Nicolas Stohrer a pourtant décidé de s’installer relativement loin de Versailles. C’est effectivement sur la rue Montorgueil, en plein Paris, que la pâtisserie du roi ouvrira. Le pâtissier a opté pour cette localisation car elle permettait de tisser des liens avec une clientèle de choix. Stohrer a donc ouvert en ses locaux actuels en 1730, juste en face du siège social des chais importateurs. Pendant son illustre carrière, Nicolas Stohrer créera la pâtisserie préférée de Louis XV : le puits d’amour, que l’on peut encore se procurer aujourd’hui, faits selon la recette authentique avec les mêmes ingrédients et dans le même lieu.

Stohrer, sur la rue Montorgueil.

 

Cette pâtisserie est évidemment depuis devenue une institution. Si bien qu’en 1864, on confie à Pierre Baudry, sa décoration. C’est cette même décoration que l’on peut admirer aujourd’hui, en visitant la pâtisserie, classée monument historique, notamment à cause de cette fine ornementation.

L’intérieur de Stohrer, la plus vieille pâtisserie de Paris. – photo © GEC

Encore aujourd’hui, il est possible d’apprécier les gargouillements du Ventre de Paris. Vous n’avez qu’à aller à la station de métro Châtelet-Les Halles et vous rendre sur la mignonne rue Montorgueil. Petite et modeste, cette rue n’a pas moins été célébrée par Honoré de Balzac, Victor Hugo, Émile Zola et d’autres. Elle est en quelque sorte un repère dans Paris, tant au niveau de sa gastronomie que de sa géographie qui a moult fois évolué au courant des siècles. S’y rendre pour goûter, au moins une fois, au puits d’amour est, sans doute aucun, du temps bien investi.

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